Transparence. A l’ère du digital, il n’en n’a jamais autant été question. Transparence dans le milieu politique pour un plus grand gage d’intégrité, transparence dans les vies privées, aujourd’hui et plus que jamais, la transparence est l’alpha et l’omega de notre société. Mais pourquoi y sommes-nous autant attachés ? Et si, finalement, nous avions tort ? Si cette course à la transparence n’avait de sens que couplée à une part d’opacité, d’ombre et d’obscurité ? C’est ce qu’interroge le 6ème numéro de la Revue française d’éthique appliquée (RFEA).
Ce nouveau numéro coordonné par les sociologues David Le Breton et Sebastian J. Moser, et intitulé « Eloge de l’opacité. Les paradoxes contemporains de la transparence », propose des éléments de réflexion pour remettre la nuance au coeur du débat.
La transparence, une promesse de vérité ?
Algorithmes, big data, réseaux sociaux… aujourd’hui, tout est montré. Qu’elle soit liée à un souhait individuel d’exister dans l’espace social ou guidée par un impératif démocratique, sanitaire ou de sécurité, la transparence irrigue les principales sphères de notre société. Sur bien des aspects, nos exigences de transparence ont leur justification : qu’il s’agisse de dépistage de maladies ou de lutte contre la violence, nous concevons la transparence à la fois comme moyen de prévention et mais aussi comme solution à nos maux, à toutes les échelles. Dans un certain nombre de domaines, la transparence amène avec elle clarté, sécurité, limpidité, et même la promesse d’un monde plus démocratique. Certains vont encore plus loin en voyant dans notre démarche vers plus de transparence, l’accès à la vérité qu’elle nous apporte. « Dans les différents numéros de la Revue française d’éthique appliquée, nous tentons d’interroger les tendances sociétales, en nous interrogeant toujours sur leurs tenants et leurs aboutissants : quelles sont leurs manifestions ? Quelles sont leurs objectifs ? Et surtout : quels sont leurs conséquences sur notre vie en société ? Aujourd’hui, il est beaucoup question de transparence. Généralement, on en parle comme d’un progrès, ce qui nous a poussé à nous interroger sur son autre versant ! » annonce Sébastien Claeys, Responsable de la communication et de la stratégie de médiation de l’Espace éthique Ile-de-France et contributeur de la revue.
Une nécessité, l’opacité
Ainsi, afin de contrebalancer ces tendances sociétales, n’est-il pas temps de faire l’éloge de l’opacité ? L’idée serait de remettre en question la place que la transparence tient aujourd’hui dans notre société. Finalement, trop de transparence ne conduit-il pas à effacer le sens même qu’on lui donne ? Ainsi, de la même manière qu’il n’y a pas d’action sans réflexion, l’idée même de transparence se doit d’être couplée à une part d’ombre afin d’en conserver son sens. Avec la volonté de transparence qui fait foi aujourd’hui, c’est la société toute entière qui change de paradigme : « devenir lisible grâce aux algorithmes, publier chaque moment de la vie privée sur le net sont autant d’indices que nos plages d’intimités sont mises à mal » rappelle Sebastian J. Moser, chercheur en sociologie et coordinateur du dossier. Ce 6ème numéro de la Revue française d’éthique appliquée propose, entres autres, de nouveaux éléments de réflexion sur notre ère du « tout transparent » en rappelant qu’il n’y a pas de lumière sans ombre, et que selon les circonstances, les jeux d’ombres et de lumières sont nécessaires au lien social.
Pour Sebastian J. Moser « dans un monde où la transparence s’impose peu à peu comme un impératif où chacun se rend lisible, visible, écoutable, notre intégrité est mise à mal au profit d’un « on » englobant. En faisant l’éloge de l’opacité, l’idée était avant tout d’alerter sur la nécessité de savoir faire silence dans une société devenue trop bruyante ». Dans un monde qui nous parle trop, si, finalement, l’intérêt de la transparence résidait dans ce dont nous décidons collectivement ou individuellement de montrer… ou de cacher ?
Contributions
Vers une société bienveillante ? – Alain Caillé
Quand la « bienveillance » n’a plus lieu d’être. Vers une éthique de la veille – Anne-Lyse Chabert
L’indifférence comme moindre mal ? – Sebastian J. Moser
Dossier thématique – Eloge de l’opacité. Les paradoxes contemporains de la transparence
L’impossible invisibilité. La surexposition numérique des identités post mortem – Fiorenza Gamba
La transparence est-elle le gage de l’honnêteté ? – Thierry Paquot
Usages du secret dans le monde manouche – Romain Rivière
De l’invisibilisation du corps à l’hypervisibilisation de l’être-femme. Ce voile qui en dit trop – Meryem Sellami
La « réserve » comme un retrait du monde. Préambule à une approche relationnelle du capital social chez Georg Simmel – Christian Papilloud
Se rendre invisible. La quête paradoxale de Robert Walser – David Le Breton
Articles libres
Prendre l’humour au sérieux ? Éléments pour une éthique du rire – Florent Trocquenet-Lopez
Défendre l’élevage sans le savoir. Commentaire critique à propos de l’article de Nicolas Delon
« L’animal d’élevage compagnon de travail. L’éthique des fables alimentaires » – Jocelyne Porcher
Retours d’expérience
Le groupe « Parents et soignants face à l’éthique en pédiatrie » est-il un modèle transposable
pour penser la réflexion éthique ? – Dominique Davous
Les arts et l’éthique
De la fonction de la dystopie dans l’imaginaire contemporain. Réflexions autour de La servante
écarlate – Thibaud Zuppinger
Qu’est-ce que la Revue française d’éthique appliquée ?
La Revue française d’éthique appliquée est une publication universitaire francophone à comité de lecture. La RFEA est une initiative du Département de recherche de l’Université Paris-Sud Paris-
Saclay et de l’Espace de réflexion éthique/Ile-de-France (ERER/IDF). Sa vocation est de contribuer à la valorisation et la diffusion de la réflexion et de la recherche en éthique appliquée. Espace public d’analyse, d’approfondissements et d’échanges ouvert à la diversité des domaines de l’éthique appliquée et des approches disciplinaires, la RFEA souhaite également témoigner d’engagements concrets soucieux du bien commun.
La RFEA procède d’une démarche éthique attentive à la fois aux expériences de terrain, aux innovations dans les pratiques et aux études académiques. À ces fins la RFEA entend couvrir transversalement quatre grands champs de l‘éthique appliquée : l’éthique de la santé et du soin, l’éthique économique et sociale, l’éthique environnementale et animale et l’éthique des sciences et technologies.
Les précédents numéros :
– Un monde d’automatisation ? Pour un débat intelligent sur la machine éthique (2018)
– Se nourrir, un enjeu éthique (2017)
– La vie humaine : entre trésor et capital ? (2017)
– Les figures de l’anticipation. Ou comment prendre soin du futur (2016)
– Les ambivalences contemporaines de la décision. Délibération, technique, valeur (2016)
À propos de l’Espace éthique Île-de-France
L’Espace de réflexion éthique de la région Île-de-France est un lieu de coordination, de réflexion et de formation aux questions éthiques et sociétales de la santé, du soin, de l’accompagnement et de la recherche. Il travaille en réseau avec les institutionnels, les professionnels et les associatifs d’Île-de-France sous l’autorité de l’Agence Régionale de Santé. Il tend à développer une réflexion et une démarche éthiques appliquées aux réalités de terrain, en réponse aux demandes des intervenants et des décideurs publics, dans le but de créer les conditions d’une concertation pluraliste et de concilier un travail d’observation, de veille et d’anticipation.
D’autres informations presse sur l’Espace éthique Île-de-France : http://www.espace-ethique.org/presse
Besoin d’illustrations ? Rendez-vous sur la banque d’image de l’Espace éthique Île-de-France : https://www.flickr.com/photos/espace-ethique
A propos de l'auteur
Sarah Gacemi
Sarah rejoint LauMa après un Mastère spécialisé en école de commerce en alternance chez Total, et un Magistère Journalisme et Communication des Organisations à Aix-en-Provence, où elle effectue un détour par les Etats-Unis. De l’industrie à la santé, les différents secteurs d’activités sont, pour elle, l’occasion de repenser son métier au contact de chaque client.