« Syndrome douloureux vésical » (SDV) est le nom utilisé désormais pour désigner des vessies douloureuses chroniques que l’on appelait naguère « cystite interstitielle ». Cette nouvelle nomenclature regroupe les patients ayant une véritable maladie de la paroi vésicale (ancienne cystite interstitielle) et les patients souffrant de douleurs vésicales s’inscrivant dans un tableau beaucoup plus large, et nécessitant une prise en charge différente.
D’après un entretien avec le Pr Jérôme Rigaud, chirurgien urologue au CHU de Nantes et auteur pour le compte de l’AFU du rapport « Douleurs pelvi-périnéales chroniques en urologie : mieux comprendre pour mieux traiter »
« Vous n’avez rien, c’est psychosomatique ».De nombreuses femmes se sont vue assener ce diagnostic alors qu’elles venaient consulter pour des douleurs vésicales et des envies fréquentes d’uriner. Les examens étaient a priori normaux et pourtant la souffrance des patientes était réelle. La nouvelle nomenclature, établie au niveau international depuis quelques années, devrait permettre de mieux prendre en charge ces patientes.Elle distingue les maladies de la paroi vésicale pour lesquelles le terme « cystite interstitielle » est parfois conservé et le syndrome douloureux vésical par hypersensibilité, entraînant des symptômes semblables malgré une absence de lésion de la vessie.
Des douleurs parfois intolérables
10, 20, 40 et parfois jusqu’à 60 fois par jour : les patients souffrant d’un syndrome douloureux vésical vont avoir besoin d’aller uriner très fréquemment. Cette pollakiurie peut être une conséquence de la douleur. Lorsqu’elle se remplit la vessie devient symptomatique. La souffrance cède ou s’atténue une fois la miction réalisée, pour revenir très rapidement dès que la vessie se remplit à nouveau. D’où la tentation de certains patients de limiter leurs apports hydriques. Ces affections touchent majoritairement les femmes (8 à 9 femmes pour un homme). « On imagine la vie de ces personnes qui, jour et nuit, ne peuvent rester plus de quelques dizaines de minutes sans aller aux toilettes. Leur existence devient un enfer. Certaines sont totalement désocialisées, elles ne sortent plus de chez elles », note le Pr Jérôme Rigaud.
Éliminer une autre cause
Une infection urinaire, un cancer de la vessie ou des calculs peuvent entraîner eux aussi des symptômes douloureux et des mictions fréquentes. L’examen clinique et le bilan urologique viseront dans un premier temps àvérifier qu’aucune de ces trois pathologies n’est en cause.
« Une fois que nous avons éliminé toutes ces étiologies, il faut déterminer s’il s’agit d’une hypersensibilité vésicale dans un contexte douloureux général ou si c’est une maladie de la paroi vésicale ». C’est là que la nouvelle nomenclature prend tout son sens. Dans 20 à 30 % des cas, les examens réalisés – notamment la cystoscopie qui permet de visualiser à l’aide de fibres optiques l’intérieur de la vessie – vont montrer des lésionsplus ou moins spécifiques. On peut alors conserver l’appellation « cystite interstitielle » même si le terme est peu approprié (voir encadré) ou opter pour le terme de « syndrome douloureux vésical (SDV) avec anomalies endoscopiques ».
Dans les autres cas, la cystoscopie peut être normale et on utilisera le terme de« syndrome douloureux vésical sans anomalie endoscopique ».Ce syndrome est souvent associé à d’autres douleurs organiques comme les fibromyalgies, les vulvodynies… Toutes ces douleurs fonctionnelles désarçonnent bien souvent les équipes médicales car aucune cause organique n’est identifiable. Le patient souffre. Parfois même il souffre le martyr, mais les bilans réalisés reviennent négatifs. Les origines de ces troubles sont mal connues. Il s’agit d’une baisse générale du seuil de perception de la douleur (seuil nociceptif) qui se manifeste par un ressenti douloureux dans différentes parties du corps. D’où la tentation de penser qu’il n’y a « rien » et que « tout est dans la tête ». De nombreuses patientes venues consulter pour des douleurs vésicales ont fait les frais de ce type de diagnostic.
Aucune étude épidémiologique européenne ne permet d’établir la fréquence de ces syndromes douloureux mais en extrapolant les données américaines, on peut estimer que 5 % de la population en est atteinte, à des stades divers. Dans les cas les plus évolués, la vie quotidienne est très altérée.
Le suffixe de notre ignorance
Beaucoup de pathologies sont désignées par des mots savants se terminant par « ite », un suffixe censé indiquer un état inflammatoire ou hyperréactif. Cette désignation est en réalité pour le Pr Rigaud, « la preuve de notre ignorance sur cette maladie ». Ainsi pour ces fameuses « cystites interstitielles » dont le nom pompeux ne signifie pas grand-chose. D’autant plus qu’il induit une confusion avec les cystites courantes (infections urinaires, le plus souvent bactériennes). La nouvelle terminologie « syndrome douloureux vésical », si elle peut sembler floue, a le mérite d’incluretous les patients souffrant de douleurs vésicales d’origine inconnue.
Aucun traitement curatif mais des approches diverses, efficaces pour soulager les symptômes
L’origine de la maladie reste un mystère. Si l’on connait des facteurs aggravants (consommation d’épices, d’alcool, de sodas, de café…), aucune voie de guérison n’a encore été identifiée. Les traitements proposés permettent de soulager les symptômes mais il n’en existe aucun qui soit à visée curative.
« Plus de 150 molécules différentes ont été tentées sur les vessies douloureuses », explique le Pr Rigaud. Parmi elles, deux ont une certaine efficacité : l’Elmiron® et un antidépresseur tricyclique à faible dose, le Laroxyl®. Ces deux médicaments sont donnés en traitement de première intention par voie orale. Les instillations intra vésicales de molécules diverses ont en revanche un intérêt limité ; leur efficacité est non démontrée et le geste n’est pas sans risque.
Parmi les approches non invasives, la rééducation périnéale de relaxation ou le TENS (neurostimulation transcutanée) sont intéressants.
L’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire
La place de l’urologue dans le traitement de ces vessies douloureuses est primordiale car c’est lui qui voit les patients lors du bilan initial de la maladie puisqu’elle s’exprime, en premier lieu, par des troubles urinaires. Il doit à l’issu de son bilan pouvoir distinguer les patients ayant une maladie de la paroi vésicale avec anomalie endoscopique de ceux victimes d’une hypersensibilité sans anomalie endoscopique.
Le traitement de première ligne (Rééducation, TENS, traitement par voie orale…) peut être prescrit par l’urologue. En revanche, en cas d’échec, une prise en charge pluridisciplinaire avec en particulier des algologues (spécialistes de la douleur) est indispensable.
Différents traitements de recours sont envisageables comme :
– la neuromodulation qui peut se faire à différents niveaux : racines nerveuses sacrées, moelle épinière.
– La stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) qui est utilisée dans la dépression.
– Les injections de toxine botulique dans la vessie (cette toxine agit à la fois sur la motricité mais également sur les voies sensitives).
Pour les patients les plus gravement touchés…
En dernier recours, il est possible pour certains patients atteints de « SDV avec anomalies endoscopiques » de réaliser un acte chirurgical d’agrandissement ou de remplacement de la vessie. Sous l’effet de la maladie qui affecte sa paroi, la vessie se replie sur elle-même, se rétracte et perd toute élasticité. Alors qu’une vessie normale contient aisément 500 ml de liquide, ces vessies ne vont en recueillir que 5 à 10 fois moins. La résection d’une partie de l’organe et la création d’une vessie artificielle à partir d’une anse de l’intestin soulage ces patients, tout en leur permettant de conserver une continence normale (le sphincter est préservé). « Cette intervention a, à tort, une très mauvaise presse mais elle donne les meilleurs résultats dans les formes évoluées avec rétraction vésicale… »,indique Le Pr Rigaud.
« Chez les patients atteints d’un SDV sans altération de la paroi vésicale, on ne touche surtout pas à la vessie mais on traite la douleur », insiste le Pr Rigaud.La prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, intégrant, au-delà de l’urologue, des algologues, mais également des psychologues, hypnothérapeutes, acupuncteurs, ostéopathes… est essentielle.Des centres experts de la douleur existent dans toutes les grandes villes de France, le plus souvent dans les CHU. Parmi eux quelques-uns sont spécialisés dans les douleurs pelviennes chroniques : celui du CHU de Nantes ou celui de Schiltigheim (CHU de Strasbourg) par exemple. Seule une approche globale va permettre au patient de retrouver une qualité de vie honorable. « Notre objectif n’est pas de guérir les patients mais d’améliorer leur qualité de vie, de les resocialiser … », bref, enclencher un cercle vertueux, grâce auquel ces patients vont reprendre le contrôle de leur vie.
En bref
On ne sait pas guérir le SDV, mais il existe de nombreux moyens pour soulager les symptômeset améliorer la qualité de vie des patients.
Pour traiter efficacement il est impératif de faire la différence entre les patients « hypersensibles » et ceux ayant une maladie de la paroi vésicale. La prise en charge de ces patients est complexe, elle doit être pluridisciplinaire, et intégrer notamment des algologues.
A propos de l'auteur
Laurent Mignon
De la défense des vignobles français sur les marchés export à la e-santé, en passant par la différenciation des molécules et la valorisation de la recherche médicale et biomédicale ou la mise en perspective de l’esprit scientifique et l’image des entreprises et de leurs porte-parole, un seul but : créer du lien entre les acteurs d’un même domaine. Sa méthode : « l’immersion ». Comprendre les enjeux, apporter de nouvelles idées et méthodes, être créatif mais aussi savoir dire non et aiguiller sur d’autres approches font son quotidien.