Avec le Pr Eric Lechevallier
Chirurgien urologue, Hôpital de la Conception, Marseille, AP-HM
Membre du conseil d’administration de l’AFU (Association Française d’Urologie)
Quand on évoque l’effet cancérogène du tabac, on pense immédiatement aux tumeurs du poumon. Pourtant d’autres cancers sont directement liés au tabagisme. Parmi eux, le cancer de la vessie. Un cancer méconnu bien qu’il soit le 5ème cancer en fréquence avec 5 000 décès par an.
Qui est touché ?
12 000 personnes sont affectées chaque année par un cancer de la vessie, majoritairement des hommes de plus de 60 ans (le ratio est d’une femme touchée pour 4 hommes). Une prévalence masculine qui s’explique par 2 facteurs : le tabagisme et l’exposition aux produits toxiques professionnels.
Comment le dépister ?
Le principal signe d’appel du cancer de la vessie est le sang dans les urines, appelé hématurie. Visible ou invisible, elle n’est pas spécifique à ce cancer mais doit être un signe évocateur, tout comme les problèmes mictionnels (envies fréquentes, brûlures urinaires, …) ainsi que les douleurs dans le bas du ventre.
Le tabac en cause
Fumez-vous ? C’est une des questions que posera l’urologue à un patient souffrant d’hématurie ou d’autres signes évocateurs d’un cancer de la vessie. Car le tabac est le premier facteur de risque du cancer de la vessie, qu’il soit consommé sous forme de cigarette ou sous toute autre forme de combustion (cigare, pipe, chicha…).
De récentes études épidémiologiques confirment que non seulement le tabac est un grand pourvoyeur de tumeurs de la vessie, mais qu’en outre, en raison des additifs ajoutés par l’industrie, ce risque est en augmentation constante. Aujourd’hui on considère qu’un fumeur a 5,5 fois plus de chance d’être victime d’un cancer de la vessie qu’un non fumeur. Et ce d’autant plus qu’il aura commencé à fumer plus jeune, et que sa consommation sera élevée.
Nous ne sommes pas égaux !
Les cancers de la vessie surviennent en moyenne vers 60 ans. Néanmoins on observe aussi des cancers chez des personnes jeunes. Ces cancers sont habituellement soit peu agressifs, soit au contraire très agressifs. En effet, la capacité de chacun à se détoxifier des produits de dégradation de la fumée de tabac est plus ou moins grande et dépendante des polymorphismes génétiques, ce qui explique la variabilité individuelle.
Les mécanismes en cause
La fumée de tabac comporte de très nombreux toxiques identifiés comme carcinogènes. Ces toxiques une fois inhalés, se retrouvent dans le sang, sont filtrés par les reins d’où ils sont déversés dans les urines. Au niveau du rein, les toxiques ne font que « passer ». Le tabac est donc un facteur de risque secondaire pour le cancer du rein. Dans la vessie en revanche ces polluants sont stockés plus durablement et sont en contact direct avec l’organe.
Les femmes doivent y penser !
« On peut craindre une recrudescence de cancers de la vessie chez les femmes dans la décennie à venir » précise le Pr Lechevallier. Par ailleurs, ce cancer est souvent de plus mauvais pronostic chez la femme que chez l’homme : le taux de survie à 5 ans est de 50 % chez l’homme contre seulement 43 % chez la femme.
Cette fragilité féminine a sans doute plusieurs origines. Il est possible que, pour des raisons hormonales et anatomiques, les femmes soient plus sensibles aux méfaits du tabac. « Les hommes ont une prostate et une vessie plus épaisse qui limiteraient la dissémination du cancer » explique le Pr Lechevallier. Par ailleurs ces cancers féminins sont diagnostiqués plus tardivement. La raison : les femmes sont beaucoup plus souvent victimes de problèmes urinaires et retardent leur consultation. « Chez une femme de 60-70 ans, fumeuse, victime de cystites à répétition avec un ECBU négatif, il faut impérativement penser à un cancer de la vessie » estime le Pr Lechevallier.
Médecins généralistes et urologues en première ligne
Aujourd’hui les médecins généralistes ont pris l’habitude d’orienter leurs patients vers l’urologue lorsqu’ils constataient des hématuries. Mais 20 à 30 % des cancers de la vessie se manifestent uniquement pas des signes mictionnels sans présence de sang dans les urines. Pour ces patients, les médecins ont encore trop rarement le réflexe de penser à un cancer de la vessie. « Si c’est un homme âgé, ils pensent à la prostate, si c’est une femme à une cystite » : un travail de sensibilisation des généralistes et des patients serait donc à mettre en place.
Il est (toujours) temps d’arrêter !
Plus on s’arrête précocement de fumer, plus on gagne en espérance de vie. Le sevrage tabagique débuté à 60 ans permet de regagner 3 ans d’espérance de vie. A 50 ans, le gain est de 6 ans, à 40 ans de 9 ans.
« On a toujours intérêt à s’arrêter, même après que le cancer est déclaré, insiste le Pr Eric Lechevallier. Continuer de fumer aggrave le pronostic du cancer, favorise les complications et augmente le risque de récidive ».
À propos de l’AFU
L’Association Française d’Urologie est une société savante représentant plus de 90% des urologues exerçant en France (soit 1 133 médecins). Médecin et chirurgien, l’urologue prend en charge l’ensemble des pathologies touchant l’appareil urinaire de la femme et de l’homme (cancérologie, incontinence urinaire, troubles mictionnels, calculs urinaires, insuffisance rénale et greffe), ainsi que celles touchant l’appareil génital de l’homme. L’AFU est un acteur de la recherche et de l’évaluation en urologie. Elle diffuse les bonnes pratiques aux urologues afin d’apporter les meilleurs soins aux patients, notamment via son site internet urofrance.org.
A propos de l'auteur
Emmanuelle Klein
Surfant sur le petit monde des relations presse depuis plus de 20 ans, c’est en poussant les portes des rédactions des médias chauds qu’elle s’est forgée son expertise. Gastronomie, sport, recherche fondamentale peu importe le flacon… elle a compris que les contraintes des médias étaient les siennes et aime particulièrement relever des défis de n’importe quelle nouvelle interrogation.