L’expression « bébés-médicaments », ou « bébés-docteurs » ou « bébés du double espoir », désigne le fait de concevoir un enfant en deuxième couche par l’intermédiaire d’un diagnostic préimplantatoire dans le but de sauver un frère ou une soeur aîné atteint d’une maladie grave. Si cette science part d’une volonté de préserver la vie en donnant la vie à un autre enfant, elle soulève aussi de nombreuses questions éthiques et morales, qui ont fait l’objet de plusieurs oeuvres de fiction depuis le début du siècle.
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Créer la vie pour en sauver une autre…
Le premier bébé-médicament en France est né en février 2011, alors que d’autres pays pratiquent cette science depuis plus longtemps, 2008 pour l’Espagne et déjà une dizaine d’années aux Etats-Unis. La France, elle, l’autorise depuis 2004 avec la loi de bioéthique et ses décrets d’application en 2006. Il n’y a pas de conception d’un bébé-médicament sans l’existence préalable d’un enfant malade. Les autorisations sont délivrées par l’agence de biomédecine, en prouvant que la maladie de l’enfant à soigner est incurable et peut entraîner un décès dans les premières années de la vie.
Si le nombre de naissances à ce jour ne s’est pas encore généralisé, le sujet des bébés-médicaments a déjà fait l’objet de plusieurs oeuvres de fiction. On pense notamment au livre « My sister’s keeper » (« Ma vie pour la tienne ») de Jodi Picoult, adapté au cinéma en 2009 par Nick Cassavetes ; c’est l’histoire de Kate atteinte d’une leucémie et de sa petite soeur Anna, conçue pour être compatible et assurer la survie de Kate. Jusqu’au jour où Anna engage un avocat pour faire cesser les procédures médicales sur elle et retrouver la maîtrise de son corps, au risque de mettre sa soeur en danger de mort. On pense également au roman d’anticipation « Never let me go » (« Auprès de moi toujours ») de Kazuo Ishiguro, adapté au cinéma par Mark Romanek en 2011, qui raconte comment des enfants clonés sont élevés dans un pensionnat britannique à l’écart du monde dans le seul but d’être des donneurs d’organes jusqu’à en mourir.
Enfin, comment ne pas évoquer un autre roman d’anticipation, « Le Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley paru en 1932, dans lequel la population est divisée en groupes en fonction de leurs capacités intellectuelles et physiques déterminés depuis l’embryon par des traitements chimiques. Ce roman pousse à son paroxysme les conceptions sur l’eugénisme, à l’époque où la pratique des bébés-médicaments n’avait pas encore été inventée.
… au prix de nombreux questionnements
Dans ces différentes oeuvres, de nombreuses questions sous-jacentes ou évidentes sont posées. A commencer par le sens de la vie et de la naissance, un sujet déjà assez chargé d’interprétations et de considérations dans les différentes cultures. A cette question, les bébés-médicaments vont souvent avoir en tête la réponse : « Je suis né pour soigner mon aîné ». L’enfant peut donc se considérer comme un objet de manipulation, d’instrumentalisation, se sentir mal aimé et connaître des troubles de l’identification. A l’inverse, il peut aussi connaître un sentiment de toute puissance en se considérant comme une source de vie qui n’aurait pas de prix.
De nombreux articles existent sur les enjeux du développement psychologique d’un enfant-médicament au cours de son adolescence et à l’âge adulte, et sur les dérives possibles, que l’enfant en question continue ou non de remplir son rôle thérapeutique.
Les autres questions posées concernent la prédominance de l’utilité avant la dignité de la personne, l’instrumentalisation de la vie humaine et de celle de l’enfant, l’atteinte à la dignité de la procréation humaine, et enfin l’ombre de la pratique de l’eugénisme qui plane.
Au final, nous ne sommes pas encore arrivés au stade décrit, en anticipé, par Aldous Huxley, mais il convient peut-être de se demander : outre l’utilité thérapeutique incroyable de la conception de bébés-médicaments, cette pratique n’ouvre-t-elle pas trop la voie à des dérives inquiétantes pour la condition humaine?
A propos de l'auteur
Emmanuelle Klein
Surfant sur le petit monde des relations presse depuis plus de 20 ans, c’est en poussant les portes des rédactions des médias chauds qu’elle s’est forgée son expertise. Gastronomie, sport, recherche fondamentale peu importe le flacon… elle a compris que les contraintes des médias étaient les siennes et aime particulièrement relever des défis de n’importe quelle nouvelle interrogation.