Les femmes malades chroniques perdent deux fois plus leur emploi que les hommes malades chroniques. C’est ce que révèle le sondage exclusif commandité par le collectif (Im)patients, Chroniques & Associés (ICA) auprès de l’institut B3 TSI à l’occasion de la Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées et de la sortie du livre blanc Maladies Chroniques et Emploi : Place à l’Action (Cabinet Ariane Conseil). Qu’est-ce qu’être femme et malade chronique dans le monde du travail ? Réponses en chiffres.
Une perte de revenus supérieure chez les femmes
Lorsque la maladie chronique pèse sur le travail, elle a dans 70 % des cas comme conséquence directe une perte ou une baisse des revenus, et ce, même lorsqu’elle n’a pas entraîné une perte de l’emploi. « Là encore, l’analyse hommes-femmes montre un écart catastrophique », se révolte Frédéric Lert. En effet, alors que les hommes sont déjà 59 % à avoir connu une perte ou une baisse de leurs revenus, 78 % des femmes sont dans cette situation.
Pour Alice, 45 ans, patiente diagnostiquée il y a une dizaine d’années d’une sclérose en plaques et de la maladie de Huntington, diminuer ses revenus a été un « choix contraint » : « j’ai créé mon activité pour me protéger : j’ai fait le choix de faire passer mon confort et mon qualité de vie avant mon ambition de carrière et pour cela, j’ai dû accepter de diminuer mes revenus de moitié ».
Pourtant, outre les besoins économiques, un maintien de l’emploi dans de bonnes conditions pourrait permettre la naissance d’un cercle vertueux. 26 % des répondants estiment ainsi que le travail peut être positif pour leur santé ou leur qualité de vie. 30 autres % apportent la même réponse dans l’hypothèse où certains aménagements seraient prévus.
« C’est intéressant de voir que si on considère généralement que les malades chroniques devraient se reposer et ne pas se fatiguer au travail, lorsque l’on pose la question aux principaux intéressés, ils estiment au contraire que le travail est bon pour eux ! », analyse Frédéric Lert.
C’est également l’avis d’Alice : « je voulais travailler, je sentais que c’était important, sur le plan financier bien sûr, mais aussi sur le plan intellectuel. Mon corps est fatigué mais pas mon cerveau. En créant mon association, je voulais pouvoir travailler à mon rythme, mais c’est aussi stimulant et je prends du plaisir au travail. Même si je ne suis plus en état de travailler à temps plein, maintenir une activité est la meilleure décision que j’ai prise. »
Pourtant, les femmes sont plus nombreuses à considérer que le travail pourrait nuire à leur santé (31 % des femmes contre 24 % des hommes). Selon Nathalie Clary, Présidente d’ENDOmind et elle-même patiente, cela peut s’expliquer par la pression qui pèse sur les femmes dans le monde professionnel. « Quand on est une femme, on doit montrer que l’on peut faire aussi bien qu’un homme : alors quand on est une femme malade chronique, l’exigence de performance est accentuée », analyse-t-elle. « Pour ne pas être considérée comme une chochotte qui s’arrête dès qu’elle a un bobo, il nous faut déployer énormément d’énergie pour prouver que l’on peut assurer notre poste ». Or, le stress et les tensions aggravent souvent les symptômes, comme dans le cas de Marie-Anne : « Plus je subissais de pression, plus mon état empirait ».
Nathalie Clary témoigne : « Lorsque j’étais en poste, j’ai pris sur moi pendant des années pour ne rien montrer et assurer mon boulot de la manière la plus efficiente possible. Mais maintenant que je suis à mon compte, je me rends compte que j’ai trop tiré sur la corde. Aujourd’hui, en gérant mon temps autrement, je suis finalement bien plus efficace au quotidien et le télétravail me permet de combiner vie professionnelle et maladie chronique ».
« Être malade est tellement problématique qu’il faut garder le silence »
57 % des malades chroniques ont fait le choix de parler de leur maladie dans leur cadre professionnel. Ils ont évoqué la situation à parts égales à leur employeur et à leurs proches collaborateurs. Pour la plupart, le bilan a été positif (41 % considèrent que la situation a été comprise et ils sont 17 % à considérer que l’annonce leur a permis de mieux vivre leur maladie).
« À l’époque j’ai tu ma maladie à mes employeurs, mais mes proches collègues se sont montrés très solidaires », raconte Alice. « Quand on est suffisamment en confiance avec son employeur, on peut envisager de communiquer avec lui autour de la maladie. Je connais des cas où l’annonce a été accompagnée d’effets extrêmement positifs pour le patient comme pour l’entreprise, car celle-ci a mis en place un cercle vertueux. »
Pour 41 %, le bilan a été neutre. Mais selon Frédéric Lert, c’est déjà une mauvaise nouvelle : « Quand on est malade chronique, on est confronté à des changements parfois considérables. Pour ces personnes qui ont pris leur courage à deux mains et fait le choix d’évoquer leur maladie, ne pas voir d’évolution, telles que des adaptations de poste ou d’horaires lorsque nécessaire, c’est forcément problématique ».
Nathalie Clary a connu une situation de ce type. « Avant de me mettre à mon compte, j’ai dû me faire opérer mais la mutuelle obligatoire de l’entreprise couvrait très mal l’intervention. J’en ai parlé à mon employeur afin de trouver une solution, mais il m’a envoyée balader en m’expliquant que si j’avais besoin de consulter un spécialiste, cela n’était pas son problème. J’ai dû prendre ma propre mutuelle. »
Pire, pour 16 % des répondants, la nouvelle a été mal comprise et 7 % des sondés affirment avoir regretté l’annonce. « Malgré des progrès non négligeables, on est donc dans une société dans laquelle être malade est tellement problématique qu’il faut garder le silence », s’insurge Frédéric Lert, « Et encore une fois, pour les femmes, c’est pire ! ». Tandis que 4 % des hommes regrettent l’annonce, 9 % des femmes sont dans cette situation.
« Il y a un tabou supplémentaire autour des maladies de la femme », ajoute Nathalie Clary. « L’endométriose par exemple, c’est une pathologie qui touche aux règles, aux douleurs féminines. C’est une maladie invisible que les employeurs et les directions, souvent masculines, ne comprennent pas et savent peu prendre en compte ».
D’autre part, 43 % des répondants n’ont pas avoué l’existence de leur maladie. Parmi ceux-ci, 10 % considèrent que cela aurait nuit à leur carrière et 59 % estiment que cela n’aurait pas changé leur situation. Avouer son état de santé serait donc inutile voire nuisible : force est de constater que les préjugés et les discriminations ont la peau dure !
Des pistes pour agir
Devant cette situation, (Im)patients, Chroniques & Associés a participé à l’élaboration du livre blanc « Maladies Chroniques et Emploi : Place à l’action », par Ariane Conseil.
« Plusieurs propositions pourraient être efficaces et les mettre en œuvre est nécessaire », estime Frédéric Lert. Pour les patients, c’est la réflexion autour du « dire ou pas » la maladie chronique à son employeur qui est prioritaire. « Un travail « référentiel » pourrait être conduit, avec pour but la réalisation d’un outil de communication et/ou d’un référentiel sur l’accompagnement », imagine-t-il.
Du côté de l’entreprise, si les employeurs permettent des organisations de travail offrant une marge de liberté, « alors elles seront plus inclusives et plus facilitantes pour tous, mais encore plus pour les personnes malades chroniques », selon Frédéric Lert.
Plus généralement, « les pouvoirs publics devraient s’engager à créer des solutions qui permettent de garder un lien entre l’entreprise et le salarié en arrêt de travail, et notamment lors d’un arrêt maladie longue durée d’accéder à des actions d’orientation et d’évaluation », indique Frédéric Lert en s’appuyant sur le livre blanc. « De même, il faudrait améliorer l’évaluation des besoins réalisée par les MDPH qui aujourd’hui correspondent peu aux besoins des personnes en situation de handicap dû à la maladie chronique ».
Méthodologie
Sondage administré par l’institut B3TSI pour (Im)patients, Chroniques & Associés, du 8 novembre au 14 novembre 2011. 836 répondants, donc 52 % (434 personnes) en ALD (Affection longue durée prise en charge à 100 %). La moyenne des répondants était âgée de 53,89 ans. 51 % étaient des femmes. 73 % des répondants sont concernés par une seule pathologie, les 37 % restants sont poly-pathologiques (dont 7 % touchés par 3 maladies ou plus). Pour 46 % des sondés, le diagnostic a été posé il y a plus de 10 ans, tandis que 13 % d’entre eux le diagnostic avait moins de deux ans.
À propos d’(Im)patients, Chroniques & Associés
(Im)patients, Chroniques & Associés (ICA) est une association loi de 1901 créée en avril 2011 et agrée nationalement pour la représentation des usagers sur système de santé. ICA est née de la transformation du collectif informel Chroniques Associés. Celui-ci est lancé en 2005 face à l’absence d’alliance inter-pathologies. ICA regroupe quatorze associations de patients atteints par une maladie chronique : AIDES, Amadys, Amalyste, Aptes, Association Française des Hémophiles, Association Française des Sclérosés en Plaques, Association François Aupetit, Dingdingdong, EndoFrance, Endomind, France Rein, Fibromyalgie France, Keratos, Renaloo. (Im)patients, Chroniques & Associés se bat pour la défense des droits et l’amélioration de la qualité des soins et de vie des personnes confrontées à des difficultés de santé. http://www.coalition-ica.org
A propos de l'auteur
Laurent Mignon
De la défense des vignobles français sur les marchés export à la e-santé, en passant par la différenciation des molécules et la valorisation de la recherche médicale et biomédicale ou la mise en perspective de l’esprit scientifique et l’image des entreprises et de leurs porte-parole, un seul but : créer du lien entre les acteurs d’un même domaine. Sa méthode : « l’immersion ». Comprendre les enjeux, apporter de nouvelles idées et méthodes, être créatif mais aussi savoir dire non et aiguiller sur d’autres approches font son quotidien.