13 mois à Caen ou 5 ans à Paris : c’est le délai qu’il faut pour qu’un patient en attente de greffe rénale sur deux reçoive un greffon. En effet, d’une région à l’autre, d’un centre à l’autre, ce délai varie de 13,1 à 66 mois. Une inégalité d’accès à la greffe rénale déjà pointée il y a cinq ans[1]. Depuis, les disparités régionales augmentent et les délais s’allongent…
Une répartition des greffons qui ne respecte pas les principes inscrits dans la loi
Selon la loi française, les règles de répartition des greffons doivent assurer l’équité parmi les patients [2].Mais, dans les faits, la situation est tout autre. Ces règles contribuent au maintien des iniquités, en permettant notamment à l’établissement où est réalisé le prélèvement de conserver un des deux reins pour le greffer localement.
Ainsi, un seul des deux reins prélevés sur chaque donneur décédé est mis en commun au niveau national entre l’ensemble des patients en attente (ils étaient 17 700 en 2016). Le second rein est « sanctuarisé » et sa répartition ne se fait qu’entre les quelques centaines de patients inscrits dans l’établissement.
Ce système dit du « rein local » date de l’époque de France Transplant, dans les années 70, et vise à garantir l’activité des équipes de greffe, indépendamment des besoins des patients. Ildéroge ainsi à toutes les attributions prioritaires, y compris aux priorités nationales.
Le Professeur Lionel Rostaing, transplanteur au CHU de Grenoble, dénonce ce système :« C’est un système inéquitable car les taux de prélèvements ne dépendent pas que des équipes, il y a aussi des facteurs épidémiologiques, démographiques ou géographiques qui entrent en compte. Par exemple, à Paris, la population est plus jeune : il y a donc moins d’accidents vasculaires cérébraux. De même, on y meurt moins d’accidents de la route. De fait, il y a moins de morts encéphaliques et donc moins de reins disponibles pour de nombreuses équipes. »
À l’heure actuelle, 46 % des reins prélevés en France sont attribués localement.
Le résultat : des délais d’accès à la greffe très différents selon les centres. Près de 25 ans après la loi de bioéthique de 1994, qui affirmait que « Les règles de répartition et d’attribution de ces greffons doivent respecter les principes d’équité, l’éthique médicale et viser l’amélioration de la qualité des soins », l’équité d’accès à la greffe rénale n’est toujours pas assurée.
Des délais d’attente toujours plus longs et des écarts qui se creusent !
En 2016, les durées d’attente varient selon les hôpitaux français de moins de 18 mois à plus de cinq ans :
- 5 équipes ont des durées d’attente inférieures à 1 an et demi. Ce sont celles de Caen, Rennes, Marseille, Poitiers et Brest.
- À l’inverse, 4 équipes ont des durées d’attente supérieures à 4 ans : Créteil, Saint Louis, Foch et Tenon (pour Foch et Tenon, les durées d’attente excèdent même 5 ans).
« Comment peut-il être concevable pour un patient d’attendre une greffe pendant plus de 5 ans, alors que s’il était pris en charge à quelques centaines de kilomètres, il n’attendrait que quelques mois ? », s’interroge Magali Leo, responsable du plaidoyer de Renaloo.
Surtout, les inégalités s’accentuent d’année en année. 41,8 mois séparaient en 2013 la région la plus rapidede la plus lente. En 2016, l’écart est désormais de 52,9 mois.
Les conséquences de cet état de fait pénalisent durement les patients
Pour les patients des équipes à longs délais, c’est la triple peine. Non seulement ils subissent un temps d’attente plus long [3], à l’origine de pertes de chances médicales,mais ils se voient souvent attribuer des greffons de moins bonne qualité [4],préalablement refusés par les centres soumis à une moindre pénurie, d’où davantage de complications et une survie du greffon diminuée. Enfin, en cas d’échec précoce de cette greffe, une deuxième greffe est souvent plus difficile, nécessitant une plus longue attente.
Choisir son centre de greffe en fonction des durées d’attente ?
Face à une telle situation, le choix le plus rationnel pour le patient est de demander à être inscrit sur la liste d’un centre plus éloigné de son domicile maismoins engorgé.Or, pour exercer ce droit au choix de l’équipe de greffe, un malade doit d’abord être bien informé (ce n’est pas le cas de tous : ce sont les milieux socialement et culturellement privilégiés qui sont les plus au courant), mais aussi pouvoir financer lui-même les surcoûts correspondants, en particulier les frais de transport, que l’assurance maladie refuse souvent de prendre en charge. « La situation est ainsi celle d’une médecine à plusieurs vitessesqui crée des discriminations en avantageant certaines régions et certains milieux sociaux », indique Magali Leo.
Renaloo : après les constats, l’action
Les inégalités d’accès à la greffe ne pourront que s’accentuer tant que sera maintenu le principe du rein local.
Afin de faire évoluer cette situation d’autant plus inacceptable que les associations de patients sont toujours exclues des travaux relatifs aux évolutions des règles de répartition, conduits par l’Agence de la biomédecine et auxquels seules les équipes de greffe sont associées, Renaloo a formulé dans le cadre des États Généraux de la bioéthique une série de propositions, notamment celle de préciserdans la loi que le principe d’équité pour l’attribution des greffons doit s’inscrire au niveau national.
L’association vient également de saisir le Défenseur des Droits et d’alerter la Ministre des Solidarités et de la Santé ainsi que le Comité consultatif national d’éthique sur le sujet.
À l’occasion de ce 22 juin 2018, journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe, il est plus que jamais essentiel d’en appeler à la générosité et à la solidarité des donneurs. Mais il est aussi nécessaire de leur garantir, ainsi qu’aux patients en attente de greffe, que ce don précieux sera distribué de manière à la fois équitable et irréprochable.
[1]« Greffes du rein : un scandale inexcusable » dans Le Parisien du 11 septembre 2013
[2]Loi de bioéthique de 1994
[3]On sait désormais que plus la période d’attente en dialyse s’allonge, moins grandes sont les chances de succès de la greffe à venir.
[4]Certains reins sont prélevés sur des donneurs âgés, atteints de certaines maladies ou dans des conditions de décès qui ont pu les endommager. Les résultats des greffes sont moins bons. Les centres subissant une forte pénurie sont amenés à accepter et à transplanter des greffons dont la qualité a été jugée insuffisante par d’autres équipes, soumises à une moindre pression.
A propos de l'auteur
Laurent Mignon
De la défense des vignobles français sur les marchés export à la e-santé, en passant par la différenciation des molécules et la valorisation de la recherche médicale et biomédicale ou la mise en perspective de l’esprit scientifique et l’image des entreprises et de leurs porte-parole, un seul but : créer du lien entre les acteurs d’un même domaine. Sa méthode : « l’immersion ». Comprendre les enjeux, apporter de nouvelles idées et méthodes, être créatif mais aussi savoir dire non et aiguiller sur d’autres approches font son quotidien.