Le nombre d’enfants naissant avec un spina bifida – une anomalie de la fermeture du tube neural – est en croissance. La maladie entraîne de nombreux troubles sur le plan neuro-urologique. Leur prise en charge dès la naissance est essentielle.
D’après un entretien avec le Pr Xavier Gamé, urologue à l’hôpital de Rangueil à Toulouse, membre du comité de neuro-urologie de l’AFU et secrétaire général de l’AFU
« Épine fendue », c’est la traduction de l’expression latine « spina bifida ». Elle indique un défaut de fermeture de la partie arrière d’une ou plusieurs vertèbres, laissant à nu et sans protection le contenu de la colonne vertébrale(méninges, moelle épinière, racines nerveuses…). Les conséquences de cette exposition de la moelle épinière ou de ses annexes sont nombreuses et peuvent être très graves. Parmi elles : des troubles de la continence.
Les occultes…
1 à 20 % de la population est atteinte de « spina bifida occulta » ou « fermés » : les arcs vertébraux sont mal soudés mais la moelle reste protégée par la colonne et par la peau. Contrairement aux spina bifida « ouverts » (« spina bifida aperta ») qui laissent à nu du matériel nerveux, ces malformations sont habituellement bénignes, asymptomatiques ou paucisymptomatiques. Situées en général au bas de la colonne lombaire, vers le sacrum, elles sont le plus souvent détectées lors d’un examen radiologique. Elles peuvent s’accompagner de discrètes anomalies : angiomes, ombilications, touffes de poils, lipomes, petite déviation de la ligne des fesses, pieds plats et parfois fistules…. « Sur l’ensemble des spina bifida occulta, 4 % souffrent néanmoins de troubles urinaires », précise le Pr Xavier Gamé.
Et ceux qui s’extériorisent…
Les spina bifida ouverts sont infiniment plus préoccupants. La mauvaise fermeture des vertèbres laisse un espace par lequel le contenu de la colonne peut s’extérioriser.
– Dans le cas le moins grave (10 à 15 % des spina bifida ouverts), seules les méninges, qui protègent la moelle et les racines nerveuses, font saillies. Les éléments nerveux restent à leur place au fond du canal rachidien. Ces hernies méningées ou « méningocèles » ne provoquent pas de troubles importants tant que la moelle reste protégée. L’ablation chirurgicale de la hernie visant à éviter la saillie des structures nerveuses à l’extérieur permet d’éviter l’immense majorité des complications liées à la maladie. Leur pronostic se rapproche alors des spina bifida occulta.
– Les myéloméningocèles, dans lesquelles non seulement les méninges mais également la moelle et les racines nerveuses sont extériorisées, formant une véritable poche en bas du dos, constituent la majorité des spina bifida aperta. Ils sont de mauvais pronostic. Tous les patients, sans exception, souffrent de troubles urinaires sévères. Le bébé naît avec une « vessie neurologique ». Parfois même, l’enfant souffre dès la naissance de séquelles au niveau du rein ou de la paroi vésicale (vessie distendue, paroi irritée…)
Une maladie dont la fréquence augmente
Les « spina bifida aperta » affectent en moyenne en France 0,5 bébé pour mille naissances. La déficience en certains nutriments – en particulier l’acide folique (vitamine B9) et la méthionine – est une des raisons de la survenue de cette anomalie. La prévalence totale1du spina bifida est en augmentation en France selon le registre en ligne EUROCAT, passant de 3,87/10 000 cas sur la décennie 1991 à 2000 et à 5,77/10 000 sur la décennie suivante, soit plus de 450 cas par an. Cet accroissement est probablement lié à une politique de prévention nutritionnelle insuffisante mais également à la volonté des futurs parents de poursuivre la grossesse pour des raisons éthiques ou religieuses.
1http://www.em-consulte.com/en/article/899825
Les principales conséquences du spina bifida aperta
Hydrocéphalie (et troubles cognitifs associés). Elle est consécutive à une accumulation de liquide céphalo-rachidien (LCR) au niveau de la tête. Elle touche 80 % des patients. Une dérivation de ce LCR en excès vers l’abdomen (dérivation ventriculo-péritonéale) ou vers l’oreillette (dérivation ventriculo-atriale) permet d’éviter l’hydrocéphalie et ses dramatiques complications.
Paralysie musculaire : l’importance des atteintes dépend de la localisation de la lésion. Plus elle est située haut dans le dos, plus la zone paralysée est importante.
Incontinence urinaire et fécale.
Troubles sexuels.
Malformation et déformation des membres
Une vessie neurologique
« Les troubles sont très variables. Ils dépendent du degré de l’atteinte nerveuse et du niveau du spina »,explique le Pr Xavier Gamé. Comme la vessie est contrôlée par les nerfs situés dans la partie inférieure du dos, là où la moelle est endommagée, elle dysfonctionne.
– Le plus souvent, elle est hypotonique, se contracte mal et a des difficultés à évacuer les urines. L’urine résiduelle majore le risque infectieux. Cette hypotonicité vésicale conduit à la fois à unrisque de rétention des urines mais également à des fuites urinaireslorsque la vessie est pleine (incontinence par regorgement).
– Le périnée, qui maintient les organes du petit bassin et assure l’ouverture et la fermeture de la vessie, est lui aussi sous le contrôle des nerfs de cette région. Tout comme la vessie, il peut être hypotonique. Les fuites urinaires sont alors quasi permanentes.
– Plus rarement, la vessie est hyperactive. Elle se contracte de manière anarchique et provoque des vidanges inopinées(incontinence urinaire par urgenturie).
Intervenir dès la naissance
« Ces troubles doivent être gérés dès la naissance, sinon ils conduisent à une dégradation rapide de l’appareil urinaire (vessie et rein) »,insiste le Pr Gamé. Les infections à répétition risquent d’entraîner une pyélonéphrite, elle-même à l’origine d’une altération de la fonction rénale. À terme, faute d’un traitement préventif bien conduit, le patient devient précocement insuffisant rénal. À l’âge de 20 ans il se retrouve en attente de transplantation. Des calculs (lithiase urinaire) peuvent également obérer son quotidien. Du côté de la vessie, la muqueuse, soumise à un état inflammatoire permanent, risque de se cancériser (carcinomes urothéliaux, carcinomes épidermoïdes…).
– Si la vessie est rétentionniste, la solution consiste à sonder l’enfantrégulièrement pour éviter que les urines s’accumulent et que l’organe se distende.« C’est fait au départ par les parents mais dès l’âge de 5 ou 6 ans, l’enfant peut apprendre à faire son autosondage », précise le Pr Gamé. En parallèle, il faut traiter l’incontinence d’effort pour éviter les fuites d’urine.
Un suivi urologique est indispensable :
– L’idéal : une échographie annuelle de rein et de la vessiepour dépister d’éventuelles anomalies de structure. Ainsi qu’une évaluation annuelle de la fonction rénale(mesure de la créatinine, ou taux de clairance de la créatinine sur 24 h).
– Enfin une évaluation du fonctionnement de la vessie et du sphincter s’impose tous les 2 ans (bilan urodynamique).
Ces troubles nécessitent parfois un suivi psychologique car ils peuvent être à l’origine de suicide chez l’adolescent touché par un spina bifida. « La prise en charge d’un patient spina bifida est forcément pluridisciplinaire : pédiatrique, neuropédiatrique, urologique, psychologique, médecine physique et de réadaptation…. Il faut que tous les soins soient réalisés en concertation », ajoute le spécialiste.
À ce prix, les enfants atteints de spina bifida peuvent mener une vie presque normale avec une qualité de vie acceptable.
Opération in utéro
Le 9 novembre 2014, une naissance pas tout à fait comme les autres a eu lieu : la petite fille qui voyait le jour avait été opérée in utéro 5 mois plus tôt par les équipes du Pr Jean-Marie Jouannic (Hôpital Armand Trousseau) et du Pr Michel Zerah (Necker-enfants malades). L’intervention avait permis de corriger un spina bifida et de protéger ainsi les racines nerveuses en formation pendant la seconde partie de la grossesse. Ce type d’intervention permet de prévenir la majorité des complications liées à la maladie. Toutefois, malgré son caractère précoce, la chirurgie in utéron’est pas en mesure de guérir les troubles urinaires consécutifs à un spina bifida. Explication : le développement de la fonction urinaire se fait extrêmement tôt au cours de la grossesse (c’est le liquide « uriné » par le fœtus qui constitue l’essentiel du liquide amniotique !). Au 5èmemois de grossesse, quand le spina est opéré, il y a d’ores et déjà des lésions nerveuses qui obèrent le fonctionnement urinaire. L’opération ne peut donc que stopper l’évolution délétère.
A propos de l'auteur
Laurent Mignon
De la défense des vignobles français sur les marchés export à la e-santé, en passant par la différenciation des molécules et la valorisation de la recherche médicale et biomédicale ou la mise en perspective de l’esprit scientifique et l’image des entreprises et de leurs porte-parole, un seul but : créer du lien entre les acteurs d’un même domaine. Sa méthode : « l’immersion ». Comprendre les enjeux, apporter de nouvelles idées et méthodes, être créatif mais aussi savoir dire non et aiguiller sur d’autres approches font son quotidien.